PRESENTATION

 

 

  L' orientation première de ma démarche -le primat de la différence- est issue du constat qu' un signe ne peut l' être qu' en référence à un système de signes.  
 
La place qu' il occupe à l' intérieur du-dit système, relativement à son sens, sa signification, ne se fonde et ne se légitime que différenciellement devant les autres signes (remplissage des vides, des lacunes d' un ensemble pour que celui-ci devienne un tout existant, une unité pleine exprimant la réalité).
 
Primat de la différence  
 
Devant ce fonctionnement du signe, on peut privilégier le propre du signe, le mode de signification, la manière de produire du sens, en le faisant coquille creuse, pour redonner à l' intervalle sa puissance différencielle en inversant les rôles.
 
 
A la recherche du vivant, c' est dans l' écart, fatalement instable que j' ai posé la mobilité. La différence n' a pas d' Être, elle est soumission liée aux signes, elle n' a qu' un potentiel nécessitant des bornes pour se manifester.
 
 
Devant la notion de temps, le signe et l' acte producteur sont saisis comme sédimentation d' un temps "t" révolu.
 
 
La différence devient un noeud où convergent, d' où émergent les problématiques de mon travail.
 
Le choix du support  
 
C' est à partir de ces considérations que j' ai adopté la tôle comme support. Celle-ci, par sa forte présence-matière ainsi que par sa capacité réfléchissante, est plus apte à instruire le support de la puissance instable de la différence.
 
    Elle me permet en outre de sortir mon travail de l' inscription du chassis et de la toile dans l' Histoire de l'Art (il est impossible d' asseoir l' instabilité de la différence dans un système qui culturellement pose le signe dans un procés de signifiance).  
  Autres déterminations quant à ce choix, les oxydations (chalumeau et rouille) provoquent dans le support des altérations le marquage sans déqualification de la nature de la tôle, glissement différenciel de la qualité- le même différencié-.  
    Chaque acte, ainsi porté au support, s' actualise d'une manière (d' un faire) particulière, pour imposer au spectateur l' incapacité d' une saisie nominative globale (nomination singulière pour chacun des actes; chalumeau, rouille, peinture,trou, etc ..). Chaque acte-signe ne devient qu' une sédimentation creuse, une borne singulière ayant pouvoir d' organiser l' espace qu' il l' entoure et le relie aux autres( intervalle = espace géographique des différences).  
Les titres  
 
Pour affirmer le primat de la différence, et confirmer ma vision de l' organisation des signes, j' ai intégré la notion de fonction au titre. Cette fonction, je l' ai aligné sur la notion d' embrayeurs développée par R. Krauss; particues qui dans le langage ne pennent corps, pas vraiment sens, mais plutôt fixation de de l' articulation, qu' à l' intérieur d' un ensemble et bornés de part et d' autre.
 
    Depuis 1 991, ces titres sont : Comme, Par, Pour, Avec, En, Même, Mais... Ils constituent le lieu premier en tant que mise en fonction des actes-signes pour une coloration, une teinte des différences qui les relient (faisceau de traits distinctifs, noeud).  
Même    
 
Même s' articule autours de deux relations, l' une miroirique du sujet ( celui-là même), l' autre comme assimilation comparative de deux éléments ( le même que, les mêmes). L' ensemble des "Même" est constitué de 2 plaques, l' une s' apuyant sur la fonction miroirique du sujet, l' autre déterminant la fonction comparative.
 
    La relation miroirique du sujet se décante sur des notions d' Être, en référence aux écrits d' Heideger, la notion d' hors conscience de l' Être,chaque perception ne pouvant être -étant de l' être - qu' une actualisation temporelle de l' Être, qu' un étant. Comment, à un acte pictural quelconque, à un étant donc, pourrais-je donner une présence sans légitimation qui lui permettrait d' Être.  
    Ici, le saut s' effectue par la négation du processus de production des contours de la 1° plaque. Elle en devient isolée, suspendue sans raison, elle Est ...   
  C' est dans cette absence énigmatique de raison d' existence que la 1° plaque se manifeste.  
    La 2° plaque, liée à l' Etant, repose sur un ensemble de saisies nominatives (représentation, marquages, cadrages..) de la 1° plaque ainsi que sur la qualité de l' espace les séparant-liant. Cette ambiguïté, relation-césure fait intervenir le mur en équivalence au support-tole.  
  Mise en abîme de la reversion support-signe, les lieux de mon action deviendraient-ils sédimentation creuse pour le vivant du mur?  
    Négation du vide (le lieu d' exposition nu) par l' absence.  
Evolution    
 
Un sentiment d' oppression, suite au décès de mon frère, m' a laissé vide et flottant dans un monde déréalisé, une réalité suspendue. De là, la sensation d' absence s'est amplifiée jusqu' à limiter mon intervention à celle d' un témoin.
 
    Les 1° plaques sont devenues les relevés quasi géographiques d' une limite.  

Processus :

-un rectangle tracé sur une tôle

 
 

-à l' extérieur, application d' huile de lin

 
 
-à l' intérieur application de laque extrèmement diluée à l' essence
 
 
-la capacité de dilution de l' huile par l' essence va produire la limite externe de la surface, bien au delà du rectangle initial
 
 
- découpage des contours et indication du rectangle
 
 

- puis effacement de toutes références au processus.

 
  La plaque se présente comme une surface de tôle découpée avec l' indication du rectangle à l' intérieur. Le passage de l' une à l' autre se cantonne à une reproduction mécanique usant des symétries possibles; la 1° plaque ne se retrouvant que partiellement sur la 2°.  
    Est-ce stratégiquement cohérent, d' un côté de nier le processus pour amener un étant à se présenter en induisant un arte-fact mais en en interdisant toutes lectures, et de l' autre de révéler le processus dans un écrit de communication?  
    Cet écrit pose le lecteur-spectateur dans une position ambivalente et par la désignation des enjeux lui interdit une perception "naïve",( l' Être redevient un Etant).  
  Dans le même temps ce texte insiste sur la volonté d' imposer l'Être et l' Absence par la négation du processus.  
  La fusion-confusion entre mon état et mes actes m' a conduit à insister sur l' absence, à accroitre la présence du mur-réceptacle, à me situer entre l' information et la déformation du lieu. Cette positon m' a amené à faire coïncider la 2° plaque avec les limites identificatrices du lieu d' exposition ( coins et angles divers, murs, sol, plafond).  
Exposition      
     
 
Cette exposition s' est imposée suite à la particularité des travaux postérieurs à la mort de mon frère Alain.
 
  Son titre "A L'UN" était destiné à mon frère d' un côté, de l' autre à interroger la volonté d' un concept unifiant et son refus de l' affect au nom de la raison. Hors il faut bien ( c.f. Deleuze) qu' une angoisse profonde pousse l' homme à penser, à se penser comme un individu pensant ; et cette angoisse profonde- sa propre mort.  
  L' exposition était composée de cinq groupes de tôles et de deux boîtes lumineuses.  
    Ces deux boîtes lumineuses faisaient directement références aux radiographies médicales. La mise en transparence du papier, par étalement de "rustol" avec miction d' essence, d' alcool et d' eau, renvoyait à ces mêmes radiographies. La reprise de cette imagerie par des représentations d' ordre analytique était destiné à lui conférer le statut de représentation photographique. Une image assignable à une lecture devient par son redoublement, signe d' une réalité (malade).  
  Mais le rapport au photographique reste très formel, en fait dans ces boîtes et sur le papier je suis entre une mécanique de saisie et le simulacre d' une mécanique de saisie.  
    -C' est la matière même qui marque et crée l' empreinte-image.  
    -Elle est strictement induplicable.  
  En me référant au concept du photographique développé par R. Krauss, il m' apparaît que celui-ci est beaucoup plus présent dans les tôles Même que dans ces dessins sur boîte lumineuse;  
    - la détermination des limites de la 1° plaque est un procédé chimique  
    - l' oxydation du support produit de la couleur  
    -la reproduction mécanique avec l' utilisation de symétries se référant au retournement du négatif.  
    - la duplication au lieu même du titre :ME/ME.  
    -Entrent en jeu les rapports de présence-absence.  
 
Ma propre mise en retrait par les sensations d' absence et l' injection du photographique, comme mécanique de présentation de l' absence, constitue une transformation importante de mes problèmatiques.
 
    La motivation des actes glisse et se décalle.  
  Elle passe du tissage relationnel, que l' intention générant l' acte producteur induit avec les autres éléments de la peinture; à la capacité de l' acte à instruire l' ensemble des ambivalences présence-absence, information-déformation.  
   
   

 

Mars 1 999

 
   

Michel BOURASSIN